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Entre conscience et insouciance, une étrange ligne de flottaison

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Easton’s Beach, Newport, Rhode Island, par un après-midi d’été.

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Un décor de bord de mer… Une baie qui s’ouvre devant toi apaise l’océan et atténue la puissance de ses vagues. La promesse d’un bel après-midi dans cette moiteur de la fin août. Ce bras de mer est bordé par deux langues de terre s’étirant chacune sur un kilomètre. Sur celle de droite, de majestueuses demeures victoriennes appartenant à de puissantes dynasties endollardisées (Rockfeller, Bush, …). Tu te dis que cette couche de la société est inaccessible et tu as raison. Au moins, la photo sera jolie…

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A gauche, faisant face, de belles maisons aux murs blancs occupées par une classe moyenne supérieure rêvant d’enjamber un jour la baie pour se retrouver du côté doré.

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Et toi, tu penses à tout ça. Tu penses aussi au gardien du parking de la plage qui passera sa journée sur le bitume, en plein cagnard, à 100 mètres de l’eau. Cela te gène un peu, mais égoïstement, toi, les pieds dans l’eau, tu savoures le moment et n’échangerais ta place avec lui pour rien au monde.

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Devant toi, l’horizon, l’infini. Tes enfants sautent, barbotent, s’aspergent. « Papa, tu viens jouer avec nous dans la mer ? » « Non Laetitia, c’est pas la mer, c’est… » Bon, tant pis, tu expliqueras ça plus tard… Alors tu te lèves, heureux, léger. Tu as 10 ans. Un vrai instant présent comme tu n’en as pas ressenti depuis des lustres. A ton tour de sauter et d’asperger. Concentrée, la petite tribu est à l’affut de la prochaine vague. « Bouah, elle est riquiqui celle-là… Wouah, regarde la deuxième qui arrive derrière ! Elle est énooorme ! » Et comme pour ajouter encore un peu à la magie, ta femme, ou plutôt la petite fille de 10 ans restée sur le sable, vous rejoint. Délicieux.

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Du sel plein les lèvres, tu expliques les couleurs des drapeaux de sécurité qui se trouvent derrière le gardien. Le vert, aucun danger, le rouge, danger, mais baignade autorisée, le double rouge, danger maximal, interdiction de mettre les pieds dans l’eau. Mais celui qui intrigue le plus est le drapeau violet « dangerous marine life », interdiction stricte de se baigner. De l’eau jusqu’aux épaules, la pensée des quatre bambins dérive soudain vers un imaginaire subaquatique des plus fous. Ta femme, plus tempérée, parle de méduses. Mais toi, tu ne peux t’empêcher de raconter des histoires de barracudas géants, de requins-tigres qui promèneraient leurs ailerons à quelques mètres plus au large. Et là, tu lis la peur dans les yeux de tes enfants. Une vraie frousse de gosse. A tel point que, pour peu, tu sortirais toi-même de l’eau, enviant presque la condition de l’employé communal resté sur le parking.

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Pas question de se faire dominer par ces bêtises ! « Et si on jouait à sauter par-dessus les vagues ? » Cette seule phrase a le pouvoir d’évaporer la couleur violette et tout ce qu’elle représente. Mais... tu ne sais pas pourquoi, ton regard se porte maintenant vers le ciel.  Le soleil est déjà bas. Il se fait tard. Il semblerait qu’il n’y ait plus quatre âmes insouciantes dans cet océan, mais deux. La magie, tes 10 ans ne sont plus.

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« On sort de l’eau les enfants et vous vous séchez. Sinon, vous allez vous coucher à pas d’heure et vous serez fatigués demain… »

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